Chaque année, je vois Roland Garros comme le top départ des beaux jours et l’occasion de siroter un bon mojito en écoutant les inconditionnels se déchirer sur la traditionnelle question « Nadal ou Federer ? ». Mais cette année je me suis retrouvée au cœur d’un débat non moins passionnant mais bien plus sérieux : celui autour du prize money. Le prize money, c’est la dotation reversée par l’organisateur du tournoi aux sportifs, en fonction du stade qu’ils atteignent dans la compétition. Une prime de victoire en somme. Et le tennis est un des rares sports dans lequel cette dotation est identique entre hommes et femmes… ce qui suscite régulièrement de nombreux commentaires.
Alors avant de me faire mon avis, j’ai eu envie cet été de creuser un peu cette question épineuse dont la réponse me parait loin d’être évidente et se situe probablement quelque part entre la loi de l’offre et de la demande et la promotion universelle des valeurs du sport. Entre le libéralisme et le socialisme.
Gagner le tour d’Italie pour… une pizza
Pour revenir au cas du tennis, s’il est vrai que l’égalité existe pour les tournois du Grand Chelem (depuis 2007 pour Roland Garros), les différences de dotations restent conséquentes dans les autres tournois. Dans le tournoi du Miami par exemple, la dotation totale pour le tableau masculin s’élève à 7 millions de dollars contre 5,4 millions pour le tableau féminin. On a donc, semblerait-il, plus affaire à un coup de com’ qu’à une réelle volonté d’égalité.
Dans d’autres disciplines, le fossé est encore plus marqué. En cyclisme, sur le tour d’Italie, le vainqueur empoche 200 000 euros contre… 525 euros pour son homologue féminine. L’italienne Georgia Bronzini avait d’ailleurs ironisé à ce sujet dans une interview à Cycling News : « Si un jour je gagne le Giro et partage les gains avec mes équipières, il me restera peut être 50 euros pour aller manger une pizza entre amis ».
Au football, les équipes masculines éliminées au premier tour du dernier mondial ont touché 4 fois plus que l’équipe féminine… gagnante (8 millions VS 2 millions).
Hormis pour les sports dont les grandes compétitions ont lieu au même endroit et au même moment pour les hommes et les femmes (natation, athlétisme, ski…), cette inégalité s’observe partout : golf, squash, surf, cricket… A l’image de ces différences, on peut regarder le classement des 50 sportifs français les mieux payés établi chaque année par le journal l’Equipe : en 15 ans, seules 9 places de ce top (sur les 750 possibles donc) ont été occupées par des femmes (N.B : il n’est ici pas seulement question de prime de victoire mais aussi de salaire).
La “bataille des sexes” : un match d’exhibition historique
Et si ces inégalités font parler, le débat ne date pas d’hier. En 1973, Bobby Riggs, joueur de tennis de 55 ans à la retraite et agacé par les revendications des femmes vis-à-vis des dotations, déclare : « Aucune joueuse en activité ne pourrait jamais venir à bout d’un retraité ». Billie Jean King, joueuse de l’époque décide alors de l’affronter dans un match en 3 sets gagnants.
L’événement est titanesque : plus de 30 000 personnes assistent à cette “bataille des sexes” dont les places se vendent à 100 dollars et le match est retranscrit dans 36 pays auprès de cinquante millions de téléspectateurs. On peut lire des pancartes « Who needs women ? » dans les tribunes. Malgré le poids d’un tel symbole (et des 100 000$ en jeu !), Billie Jean parvient à l’emporter en 3 sets. Mais cette victoire est loin de clore le sujet qui revient régulièrement depuis toutes ces années.
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La performance avant tout
En 2012, Marion Bartoli avait déclaré sur France Info en réponse à des propos tenus par Gilles Simon : « On s’investit autant qu’eux. Les demandes physiques, l’entraînement, l’investissement sur le plan personnel sont les mêmes que les leurs. ». Son point de vue est donc qu’à investissement et mérite égaux, la somme touchée par les joueurs devrait être la même, considérant alors les sportifs d’avantage comme des salariés plutôt que des performeurs comme le sont les chanteurs ou comédiens.
Cependant, cela semble aller à l’encontre de la logique du sport de haut niveau, pour lequel la performance est reine. On ne paie pas un athlète à la goutte de sueur. Le public est là pour voir son champion gagner, il veut voir des records, des exploits, des prouesses extraordinaires.
Contrairement au chant ou à la comédie pour lesquels les femmes et les hommes ont les mêmes « chances » de réussite, le sport est injuste par nature : les hommes sont plus à même de livrer ces performances hors du commun que les femmes. C’est biologique. Un article d’Agorasport décrypte d’ailleurs les facteurs « scientifiques » qui peuvent expliquer cela : taux d’hémoglobine et masse musculaire plus élevés chez les hommes, taille du cœur plus petite chez les femmes etc…
Pierre de Coubertin, le père des JO modernes considérait d’ailleurs que cette inégalité de performance rendait le sport féminin inintéressant. En 1912, il déclare : « Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte. Les JO doivent être réservés aux hommes, le rôle des femmes devrait être avant tout de couronner les vainqueurs » … (ça vous casse un mythe non ? )
Finalement on peut résumer la logique actuelle et l’argumentaire de base assez facilement : l’argent des prize moneys vient de l’organisateur de l’événement qui récolte lui-même l’argent principalement via la billetterie, les droits TV, les partenaires et relations publiques et les produits dérivés. Il doit donc être déterminé selon l’attrait des spectateurs. Or le public regarde les sportifs pour leurs performances. Les hommes sont plus performants. Donc le prize money doit être plus élevé pour eux.
Du sport masculin pour un public … masculin : le serpent qui se mord la queue ?
Alors est-ce vraiment une fatalité ? Le sport masculin fera t’il vraiment toujours plus d’audience si les hommes restent plus performants (l’évolution nous réserve peut-être des surprises … ?)
Lorsque l’on s’intéresse de plus près à cette « audience », on se rend compte que le public est très majoritairement masculin. Et si le public est masculin, n’est-il pas normal que ce soit le sport masculin le plus regardé ? (A moins que ce ne soit l’inverse : si on montre d’avantage le sport masculin, n’est-il pas normal que ceux qui regardent soient des hommes ?) En regardant les athlètes performer, le public cherche à s’identifier, à voir la « meilleure version possible » de lui-même. Il cherche un modèle. Et ce modèle doit être identifiable rapidement : on a besoin de références et de stars. Le sport féminin, manque de stars en général, et ce, probablement d’abord à cause du manque de médiatisation. On sait bien qu’une Serena Williams ça fait de l’audience et ça remplit des stades mais son exemple est presque unique et il y a peu de sports avec d’aussi grandes stars féminines.
Alors est-ce que si l’on diffusait plus de sport féminin, d’avantage de femmes prendraient goût à regarder le sport (et goût au sport tout court) ? Une médiatisation, au départ un peu forcée, ne pourrait-elle pas créer une sorte de cercle vertueux ? Peut-être que d’avantage de petites filles regarderaient leurs idoles avec admiration et se mettraient au sport pour leur ressembler un peu. Il y aurait alors encore plus de compétition et de spectacle que maintenant et donc certainement d’avantage de stars à qui s’identifier.
En lisant certains commentaires sous les posts des bloggueuses / instagrammeuses sport du moment, telles que Marine Leleu ou Anne Dubndidu, il est difficile de douter du fait qu’une médiatisation plus importante du sport féminin ne créerait pas quelques vocations et n’intéresserait personne.
On peut d’ailleurs déjà noter que, lorsque nos athlètes nationales font partie des meilleures du monde dans leur sport, les retransmissions télé ne sont pas boudées des français. Un article de Sporsora montre qu’en France, 6 des 20 meilleures audiences sport de 2012, année des JO de Londres, ont été réalisées par des événements féminins.
Le dictat de la loi de l’offre et de la demande ?
Imaginons qu’il soit certain que l’on ne puisse jamais arriver à une égalité de revenus générés entre sport masculin et sport féminin. Devrait-on pour autant laisser le système comme il est ? On peut comprendre la loi de l’offre et de la demande sans pour autant l’approuver totalement. On peut trouver un équilibre entre libéralisme, où l’on laisse faire le marché, et socialisme, où l’on juge qu’un peu d’équité est nécessaire.
Quel est l’enjeu du sport de haut niveau ? Au-delà de faire fonctionner une économie, n’est-ce pas aussi un problème de santé publique ? Et peut être même encore plus pour les femmes. Car ne pas montrer de femmes sportives à la télé a largement participé à l’idée répandue qu’une femme musclée n’est pas considérée comme sexy. Combien de fois aura t’on entendu : « je ne fais pas trop de vélo parce que des grosses cuisses c’est moche ! », ou encore : « la natation, pour les femmes, c’est vraiment pas joli : t’as vu ses épaules ? ».
Un équilibre à trouver
On peut aisément comprendre qu’à l’heure actuelle, l’égalité hommes femmes dans le sport ne puisse être revendiquée et traitée de la même manière que dans les autres métiers. Imposer des quotas de diffusion de sport féminin à des chaines privées semble difficile à l’heure actuelle, tant que les retombées économiques ne sont pas assurées.
Mais il semble important (et possible) de trouver un équilibre dans chaque sport, entre l’argent utilisé pour faire de l’audience et des bénéfices, et l’argent que l’on garde pour promouvoir le sport auprès de celles et ceux qui ne sont pas considérés comme les plus « rentables » à priori.
Pour terminer, un fait insolite, rapporté par Inside Sport : les footballeurs de l’équipe masculine nationale de Norvège ont accepté de diminuer leurs salaires afin que leurs homologues féminines augmentent leurs primes et soient payées autant qu’eux. C’est une première dans le monde du football et le site ajoute : « Et quand on voit la différence de niveau entre les deux équipes, on se dit qu’elle n’est que méritée » …